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Le jardin où tout commence et tout finit
Martine De Sauto
Les jardins et les plantes de la Bible sont une invitation au voyage, vers un jardin d'où l'homme est parti et où Dieu l'attend
Dans la Bible, tout commence et tout finit dans un jardin. Le second récit de la Création (Gn 2, 4b) nous rapporte ainsi qu'au commencement, la terre était un immense désert : ni arbre, ni herbe. Pas de pluie non plus. Rien que la terre dure et sèche, avec ses pierrailles et sa poussière. Et puis une source. Il fallait en effet la terre et l'eau pour que Dieu puisse modeler et façonner l'homme.
Cet homme (Adam), tiré du sol (adama), ce « glébeux », comme l'écrit André Chouraqui, le Seigneur Dieu va l'établir dans un jardin pour « cultiver le sol et le garder » (Gn 2, 15). Dans ce jardin bien irrigué, les graines germent, les arbres poussent. Parmi ceux-ci, deux arbres se distinguent des autres : l'arbre de vie, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal, qui symbolise la présence absente de Dieu. Le premier manifeste que la Création est un bienfait et une bénédiction. Le second, dont l'homme ne doit pas manger les fruits, que la Création n'est pas l'œuvre de l'homme.
Ce jardin, c'est l'Éden. La vie y est douce. L'homme jardinier y trouve facilement sa nourriture. Dieu, qui vient l'y visiter, le trouve pourtant bien seul. Il crée donc les animaux et lui demande de leur donner un nom. Mais aucun ne lui est semblable. Aucun ne lui répond. Alors Dieu fait une femme, non avec la glaise, mais avec le corps même d'Adam, qui, jusque-là inachevé, s'écrie, émerveillé : « Cette fois, celle-ci est l'os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2, 23). Ce paradis (le mot vient du vieil iranien et signifie parc, enclos) sera pourtant perdu. Adam et Ève en seront chassés. Le serpent, entré en scène, leur a en effet fait miroiter la possibilité d'être « comme des dieux ». Créés libres, ils se laissent alors prendre, et ainsi commence la longue histoire du mal.
Pour les chrétiens, Jésus, est celui qui apprend à l'homme
Pourtant, l'homme continue de songer à ce paradis perdu à l'origine, et d'en chercher le chemin. Le Cantique des Cantiques (sans doute le livre qui célèbre le mieux le jardin de l'amour) exprime cette quête du jardin des commencements, du jardin bien clos, de ce paradis que l'amour fait naître. Pour les chrétiens, Jésus, l'Envoyé de Dieu, est celui qui apprend à l'homme - confronté à la précarité et à la souffrance - à retrouver librement ce chemin du jardin d'Éden. Au jardin de Gethsémani, jardin de passage et de souffrance, il traverse la nuit. Après sa mort sur la croix, c'est dans un jardin que Nicodème et Joseph le déposent dans un tombeau et que son amie Marie-Madeleine le retrouve vivant, au matin de la Résurrection et, n'en croyant pas ses yeux, le prend pour un jardinier.
Ainsi la Bible s'ouvre-t-elle sur un jardin, paradis perdu et attendu à la fin des temps, et se termine par un jardin. Ou plus exactement, par une ville, la Jérusalem céleste décrite par le livre de l'Apocalypse. Mais dans cette ville, « au milieu de la place de la cité et des deux bras du fleuve, est un arbre de vie produisant douze récoltes. Chaque mois, il donne son fruit, et son feuillage sert à la guérison des nations. Il n'y aura plus de malédiction » (Ap 22, 2-3).
La Bible parle aussi de plantes. Elles sont, tout au long des livres, les compagnes de l'homme qui se cherche lui-même en cherchant son Dieu. « Elles ne parlent pas. Elles assistent, muettes, aux entretiens de l'homme avec lui-même et avec Dieu, précise le dominicain Christophe Boureux. Elles font partie du décor. Elles entrent dans une intrigue. Elles servent à raconter une histoire. » L'acacia par exemple, au bois très dur et imputrescible, doit être utilisé par les fils d'Israël pour fabriquer l'Arche d'alliance (Ex 25, 1-10).
Le bâton d'Aaron, taillé dans le bois d'amandier et planté dans la Tente du Témoignage (Livre des Nombres, 17-23), bourgeonne et mûrit en amande, et finalement désigne le chef que le Seigneur a choisi pour faire taire les fils d'Israël qui récriminent dans le désert contre leurs chefs, Moïse et Aaron. Le sycomore, au tronc trop gros, au bois poreux et aux fruits peu savoureux (dont doivent se contenter les pauvres et le bétail), signale l'homme complexé. Zachée (Lc 19, 1-6) est complexé par sa taille et sa richesse acquise en collectant des impôts. Le roseau, qui servait à fabriquer des flûtes, des flèches, une canne à mesurer, et puis le calame pour écrire, qui symbolise quant à lui la faiblesse et la félonie - « ce roseau brisé, l'Égypte, qui si quelqu'un s'appuie sur lui, pénètre en sa main et la transperce » (deuxième livre des Rois, 18-21) - mais aussi de la fragilité.
« Il n'y a pas de jardin sans jardinier »
On le retrouve, avec cette symbolique contrastée, dans le récit de la Passion de Jésus, quand les soldats mettent un roseau dans la main droite du Messie, humilié mais toujours juste et droit, et plus tard, le reprennent pour l'en frapper (Mt 27, 29-30). Jésus lui-même utilise souvent la métaphore des plantes. Autre exemple : la moutarde (Luc 13, 18-19). Plantée dans un jardin, elle peut atteindre quatre mètres en quarante jours. Elle devient l'image du Royaume de Dieu, tout petit et presque invisible, qui change tout et fait grandir les fils de Dieu en humanité. Le figuier, parce qu'il pousse même en terrain pauvre et donne du fruit presque en permanence, devient quant à lui le signe de l'homme qui cherche Dieu et qui, le cherchant sans se lasser, trouve la paix (Jn 1, 47-50).
Jésus, rencontrant un figuier sans fruit, se fâchera d'ailleurs contre lui (Mt 21-18). Il serait possible d'évoquer aussi la vigne de Noé, le chêne de Mambré, le tamaris planté par Abraham, les lentilles de Jacob, le buisson ardent de l'Horeb, les coloquintes d'Élisée, le cèdre du Liban, l'hysope du psaume, le ricin qui abrite Jonas, la mire et l'encens des Mages, l'ivraie semée dans le champ de blé, les caroubes dont aurait voulu se nourrir le fils prodigue, la vigne et ses sarments, le lis dont la parure est plus belle que celle du roi Salomon
Aujourd'hui, que disent les plantes à l'homme croyant ? « Il n'y a pas de jardin sans jardinier », rappelle Christophe Boureux, qui, devenu d'abord jardinier amateur du jardin du couvent des dominicains de Lille, s'efforce aujourd'hui, en dehors de ses activités de théologien, de se faire le jardinier du domaine forestier et agricole de la Tourette, près de Lyon, où se trouve le couvent construit par Le Corbusier.
« Dans le temple de la nature, explique-t-il, les plantes ne connaissent que la loi du plus fort. Leur combat pour la vie est d'une violence effrayante. Elles sont toujours prêtes à étouffer leurs voisines. Elles sont beauté, grâce, légèreté, force et vigueur, générosité et abondance, seulement à la mesure de notre sollicitude. Mais les efforts incessants qu'elles exigent de nous et qui consistent à bêcher, planter, tailler, arroser, élaguer, arracher nous enseignent beaucoup : l'humilité, la patience, l'abandon et la remise de soi, car tout cela marche ou pas et, au bout du compte, c'est Dieu qui fait pousser. »
Pour découvrir cet art de vivre avec Dieu, l'homme a souvent besoin d'un initiateur, constate pourtant le dominicain : un grand-père ou un père jardinier, qui aide à décrypter les choses ; à pressentir que, rythmées par le cycle des saisons, les plantes parlent « de la vie et de la mort, de la séduction et du détachement », « de la lenteur à croire et à croître », « de la pérennité de la mémoire de Dieu ». Alors, l'homme devient capable à son tour de jardiner, de trouver la juste distance, de s'émouvoir et de s'émerveiller devant la beauté éphémère d'une rose qui, comme l'écrivait le mystique Angelius Silesius, « est sans pourquoi » et « fleurit parce qu'elle fleurit ».
la-croix.com/Religion/Spiritualité/Le-jardin-ou-tout-commence-et-tout-finit-_NG_-2006-05-05-514192
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