Paradoxalement, la littérature ne « raconte » que très peu de mariages heureux. « Les gens heureux n’ont pas d’histoire » dit-on. Si, ils ont une histoire muette, toute entière contenue dans le silence qui suit les épilogues de contes de fée. L’histoire qui nous attend, le jour du grand passage et des grandes retrouvailles.
Ce poème d’Aragon n’évoque pas littéralement des épousailles : mais la répétition du vers « Nous dormirons ensemble » décrit bien ce qu’est une vie partagée. Des nuits partagées : des nuits heureuses et passionnées, mais aussi des nuits maussades, douloureuses ou angoissées. Des nuits les unes après les autres.
Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble
C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon cœur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble.
Aragon, Le fou d’Elsa, 1963
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Dans ce poème, Ramuz évoque bien le mariage : le début du « grand voyage ». Grande aventure de la vie, née du consentement de deux êtres.
Le jour de notre noce, j'y pense tout le temps,
il fera un soleil comme on n'a jamais vu;
il fera bon aller en char
à cause du vent frais qui vous souffle au visage,
quand la bonne jument va trottant sur la route
et qu'on claque du fouet pour qu'elle aille plus fort.
On lui donnera de l'avoine,
en veux-tu, en voilà;
on l'étrillera bien qu'elle ait l'air d'un cheval
comme ceux de la ville;
et trotte ! et tu auras ton voile qui s'envole,
Et tu souriras au travers
parce qu'il aura l'air
de faire signe aux arbres,
comme quand on agite un mouchoir au départ
On se regardera, on dira: "On s'en va,
on commence le grand voyage;
heureusement qu'il n'y a pas
des océans à traverser. "
Et quand nous serons arrivés,
la cloche sonnera, la porte s'ouvrira,
l'orgue se mettra à jouer ;
tu diras oui, je dirai oui ;
et nos voix trembleront un peu
et hésiteront à cause du monde
et parce qu'on n'aime à se dire ces choses
que tout doucement à l'oreille.
Ramuz, Le Petit Village, 1903
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Nous avons tous été bercés par l’épilogue des contes de fées : « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… ». Le conte de Perrault, Peau d’Âne, ne fait pas exception à la règle. Mais il rend hyperbolique le bonheur des mariés : la cérémonie dure trois mois et leur vie heureuse cent ans. Leur amour, lui, est éternel.
Les fêtes de cet illustre mariage durèrent près de trois mois ; mais l’amour des deux époux durerait encore, tant ils s’aimaient, s’ils n’étaient pas morts cent ans après.
C. Perrault, Peau d’Âne, 1694