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Que signifie l’énigme du bon samaritain ?

 

Frédéric Grolleau


​La parabole du Bon Samaritain est une énigme proposée par Jésus en guise de réponse à une question que lui avait posée un spécialiste en morale (un « docteur de la loi »). La question de ce dernier était : « Quel genre d’homme dois-je aider pour aller au paradis ? » Plus exactement, il demandait : « Qui est mon prochain ? » Le terme de « prochain » était un terme théologique désignant l’homme avec lequel tout juif devait se sentir « proche » et avec lequel il fallait être solidaire. Mais la question de ce spécialiste, rapporte le texte évangélique, ne provenait pas d’une authentique recherche de la vérité. Elle n’était qu’un prétexte.

Une question agitait en effet la communauté des spécialistes religieux : le prochain qui faisait l’objet de leur sollicitude devait-il être un compatriote et un coreligionnaire ? ou bien fallait-il entendre par prochain même les non-juifs ? c’est-à-dire les personnes impures et « éloignées » ? En posant sa question, cet homme prouvait qu’il était un spécialiste de la morale, qu’il connaissait et prenait part aux grandes interrogations théologiques de son temps, bref : qu’il était un homme religieux et méritant.

Jésus déplace alors la question et répond par une énigme, obligeant son interlocuteur à trouver lui-même la réponse et s’impliquer à un niveau personnel :

Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à demi mort. Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre. Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre. Mais un samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier, en disant : « Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. » Lequel de ces trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? Lc 10, 29-37

Au terme de la parabole, la question n’est plus « Qui est mon prochain ? » mais « De qui suis-je proche ? » Le sens général de l’énigme devient clair et paraît n’être plus qu’une question de bon sens : il s’agit de se faire proche de tout homme qui a besoin d’être aidé, non pas seulement nos compatriotes ou nos plus proches relations.

De fait, pour Jésus, la charité fait partie des deux commandements les plus importants de la religion. Mais l’énigme fonctionne aussi à un autre niveau si l’on analyse quels sont les personnages mis en scène :

  • Le prêtre et le lévite : s’ils se rendent à Jérusalem, c’est probablement pour participer aux sacrifices du temple. Or, d’après la morale biblique, un prêtre et les lévites (les descendants de Lévi qui servent les prêtres) ne peuvent participer aux sacrifices que s’ils sont en état de pureté rituelle. Toucher du sang ou un cadavre humain les empêcheraient de remplir leur fonction sacrée.

  • Le samaritain : s’il se rend à Jérusalem, ce n’est certainement pas pour participer aux sacrifices du temple... Les samaritains, c’est-à-dire les habitants de la région de la Samarie, sont en effet considérés par les juifs comme des métis hérétiques. Ils étaient à ce point haïs des juifs que ceux-ci préférant rallonger leur trajet de plusieurs jours plutôt que de passer par leur région impure.

 

Avec cet arrière-fond religieux, l’énigme de Jésus devient un pamphlet contre une religiosité qui justifie toutes sortes de situations inhumaines, comme on le voit dans cette histoire. Au légalisme du prêtre et du lévite, Jésus oppose alors la charité gratuite et surabondante d’un hérétique. Sa parabole fonctionne comme une invitation adressée au spécialiste de la loi pour réfléchir à la logique de sa propre question : a-t-il posé sa question par souci de légalisme et d’érudition ou bien pour de pratiquer la vraie religion ? S’il avait fait preuve de bon sens, il aurait pu répondre lui-même à sa question. La parabole est ainsi une illustration d’une parole de Dieu rapporté par Isaïe le prophète et que Jésus aimait citer : « Ce ne sont pas les sacrifices que je désire, mais la charité. »

fredericgrolleau.com/2019/01/le-bon-samaritain-de-van-gogh.html

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