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Le Christ est la Vraie Vigne
 

Joseph Ratzinger « Jésus de Nazareth » : Chapitre 8 § 2 

 

La parabole de la vigne dans le discours d'adieu de Jésus prolonge toute l'histoire de la pensée et du discours bibliques autour de la vigne et s'ouvre à une ultime profondeur : « Je suis la vraie vigne » (Jn 15, 1), dit le Seigneur. Ce qui importe d'abord dans ce mot, c'est l'adjectif « vraie ». Barrett dit très bien à ce sujet : « Des fragments de sens, indiqués implicitement par d'autres vignes, sont ramassés par lui et rendus explicites. Lui est la vraie vigne ». Mais ce qui est au fond le plus important dans cette phrase, c'est la tournure « Je suis ». Le Fils lui-même s'identifie à la vigne, il est devenu lui-même la vigne. Il s'est laissé planter dans la terre. Il est entré dans la vigne. Le mystère de l'Incarnation, dont Jean a parlé dans le prologue, est repris de façon surprenante. Dès lors, la vigne n'est plus une créature que Dieu regarde avec amour, mais qu'il peut aussi arracher et rejeter. Dans le Fils, il est lui-même devenu la vigne, il s'est pour toujours et ontologiquement identifié à la vigne.

 

Cette vigne ne pourra plus jamais être arrachée, elle ne pourra plus jamais être livrée à l'abandon ni au pillage. Elle appartient définitivement à Dieu. Par le Fils, Dieu lui-même vit en elle. La promesse est irrévocable, l'unité est devenue indestructible. Voilà le grand et nouveau pas historique de Dieu qui constitue le sens le plus profond de la parabole : l'Incarnation, la Mort et la Résurrection se manifestent dans toute leur ampleur. « Le Fils de Dieu, le Christ Jésus... n'a pas été à la fois "oui" et "non" ; il n'a jamais été que "oui". Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur "oui" dans sa personne » (2 Co 1, 19-20). C'est ainsi que l'exprime saint Paul.

 

Que par le Christ, la vigne soit le Fils lui-même, voilà une réalité qui est à la fois nouvelle et déjà annoncée par la tradition biblique. Le Psaume 80 [79], v. 18, avait déjà associé étroitement le « Fils de l'homme » à la vigne. Si, inversement, le Fils est devenu lui-même la vigne, il continue justement de cette façon à ne faire qu'un avec les siens, avec tous les enfants de Dieu dispersés qu'il est venu rassembler (cf. Jn 11, 52). La vigne en tant qu'élément christologique contient aussi toute une ecclésiologie, elle signifie l'union indissoluble de Jésus avec les siens qui, par lui et avec lui, sont tous la vigne et dont la vocation consiste à « demeurer » dans la vigne. Jean ne connaît pas l'image paulinienne du « corps du Christ ». Mais la parabole de la vigne exprime de fait la même chose : le fait que Jésus est inséparable des siens, leur union avec lui et en lui. Ainsi, le discours de la vigne manifeste l'irrévocabilité du don offert par Dieu, qui ne sera pas repris. Dans l'Incarnation, Dieu s'est lié lui-même. Cependant, le discours évoque aussi l'exigence liée à ce don, une exigence qui nous met sans cesse de nouveau en cause.

 

La vigne ne peut plus être arrachée, elle ne peut plus être livrée au pillage, disions-nous. Mais elle a toujours à nouveau besoin d'être nettoyée, purifiée. Purification, fruit, demeurer, commandement, amour, unité - voilà les grands mots clés du drame d'être dans la vigne, dans le Fils et avec lui, drame que, par ses paroles, le Seigneur pose devant notre âme. Cette purification, l'Église, l'individu en ont sans cesse besoin. Les processus de purification, aussi douloureux que nécessaires, traversent toute l'histoire ; ils traversent la vie des hommes qui se sont donnés au Christ. Dans cette purification, le mystère de la Mort et de la Résurrection est toujours présent. L'exaltation propre à l'homme et aux institutions doit être émondée. Ce qui a trop poussé doit être à nouveau ramené à la simplicité et à la pauvreté du Seigneur lui-même. C'est seulement à travers ces processus de mort que la fécondité se préserve et se renouvelle.

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