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Pour comprendre la parabole d'Ezéchiel

Marie-Noëlle Thabut

 

Pour comprendre la parabole d'Ezéchiel, il faut se rappeler le contexte historique dans lequel parle le prophète : en 597, Nabuchodonosor, roi de Babylone, s'est emparé de Jérusalem ; il a déporté le roi et une partie des habitants (parmi eux, Ezéchiel). Dix ans plus tard, en 587, nouvelle vague, cette fois, Jérusalem est complètement détruite et pillée, une nouvelle partie de ses habitants déportés à leur tour à Babylone.

Le peuple juif semble avoir tout perdu : sa terre, signe concret de la bénédiction de Dieu, son roi, médiateur entre Dieu et le peuple, son Temple, lieu de la Présence divine. D'où la question qui, désormais, taraude tous les cœurs : Dieu aurait-il abandonné son peuple ? C'est, au sens propre du terme, la « question de confiance ».
Le miracle de la foi, justement, c'est qu'au sein même de l'épreuve, elle se purifie et s'approfondit : c'est exactement ce qui s'est passé pour Israël. L'exil a Babylone a été l'occasion d'un sursaut extraordinaire de la foi juive ; Ezéchiel est l'un des artisans de ce sursaut : avant la catastrophe, il avait alerté le peuple sur les conséquences désastreuses et inévitables de sa conduite. Il avait multiplié les menaces, dans l'espoir d'obtenir une conversion. Désormais, la catastrophe étant survenue, il se consacre à relever l'espoir défaillant. A ce peuple humilié, en exil, il apporte une parole d'espérance. Cette parabole du cèdre que nous lisons aujourd'hui en est une.
Pourquoi un cèdre, d'abord ? Parce que le cèdre était le symbole de la dynastie royale. Ezéchiel prend l'image du cèdre pour parler du roi, comme La Fontaine prenait celle du lion. Le roi en exil est comme un cèdre renversé (on emploie bien en français l'expression « renverser un roi »), il est comme un arbre desséché... Mais Dieu va prélever un rameau tendre du vieil arbre et le replanter lui-même.

« Sur la haute montagne d'Israël, je le planterai » : la « haute montagne d'Israël », c'est évidemment Jérusalem ; topographiquement, ce n'est pas la plus haute montagne du pays, mais c'est d'une autre élévation qu'il est question ! Cette phrase annonce donc deux choses : le retour au pays et la restauration du royaume de Jérusalem.
Et la petite bouture deviendra un cèdre magnifique. Tellement vaste que tous les passereaux du monde viendront y faire leur nid, toutes sortes d'oiseaux habiteront à l'ombre de ses branches. « Tous les arbres des champs sauront que c'est moi, le SEIGNEUR ». « Tous les arbres des champs », c'est-à-dire le monde entier, même les païens, ceux qui n'ont rien à voir avec le cèdre de la royauté. Quant à l'expression « ils sauront que c'est moi, le SEIGNEUR », nous l'avons déjà rencontrée ; elle signifie « Je suis le SEIGNEUR, il n'y en a pas d'autre ». Thème très fréquent chez les prophètes, dans le cadre de leur lutte contre l'idolâtrie. La suite du texte va dans le même sens : quand un prophète insiste sur la puissance de Dieu, c'est toujours pour marquer le contraste avec les idoles qui, elles, sont incapables du moindre geste, de la moindre action.

« C'est moi, le SEIGNEUR, je renverse l'arbre élevé, je relève l'arbre renversé, je fais sécher l'arbre vert, et reverdir l'arbre sec. » Il ne s'agit pas du tout de présenter Dieu comme jouant pour son plaisir avec la création, au gré de quelque caprice... ce qui serait, tout compte fait, très inquiétant ; au contraire, c'est une manière de nous rassurer, du style « rien n'est impossible à Dieu ». Vous, les croyants, ne vous laissez pas impressionner par qui que ce soit, ou quoi que ce soit, faites confiance, tout est dans la main de Dieu.

« Moi, le SEIGNEUR, je l'ai dit et je le ferai » : cela veut dire au moins deux choses : d'abord, bien sûr, dans le même sens que tout ce que je viens de dire, la puissance de Dieu, l'efficacité de sa Parole. Le poème de la Création, au premier chapitre de la Genèse, qui a été écrit sensiblement à la même époque, répète comme un refrain : « Dieu dit... et il en fut ainsi ». Ensuite, il y a certainement là, pour le peuple juif, un rappel de ce que l'on pourrait appeler la grande promesse, ou la grande espérance ; ce qu'Ezéchiel dit là, c'est quelque chose comme « c'est vrai, apparemment, tout est perdu ; mais n'oubliez jamais que Dieu est fidèle à ses promesses ; donc, quelles que soient les apparences, la promesse faite au roi David est toujours valable. » Je l'ai dit et je le ferai, cela revient à dire « J'ai promis, donc je tiendrai ».

Cette promesse faite à David, par le prophète Natan, quatre cents ans plus tôt, annonçait un roi idéal né de sa descendance. On la trouve au deuxième livre de Samuel : « Lorsque tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j'élèverai ta descendance après toi, celui qui sera issu de toi-même, et j'établirai fermement sa royauté... Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils... Ta maison et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi. » (2 S 7, 12... 17).

Cette promesse répercutée de siècle en siècle par les prophètes a nourri l'espérance d'Israël aux heures les plus sombres. La parabole du cèdre, chez Ezéchiel, en est la reprise imagée. Au moment où le peuple dépositaire de la promesse expérimente cruellement son impuissance, l'insistance du prophète sur l'œuvre de Dieu et de Dieu seul, est la meilleure source de confiance.

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