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Noé

Méditation

Dans cette épitaphe en forme de ballade (poème médiéval à forme fixe), François Villon supplie les hommes d’avoir pitié de lui alors qu’il attend avec ses compagnons l’exécution de leur pendaison. Comme Noé le voilà nu et offert au regard des passants.

 

Frères humains qui après nous vivez,

N’ayez les cœurs contre nous endurcis,

Car, si pitié de nous pauvres avez,

Dieu en aura plus tôt de vous mercis.

Vous nous voyez ci attachés cinq, six :

Quant à la chair que trop avons nourrie,

Elle est piéça dévorée et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et poudre.

De notre mal personne ne s’en rie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

 

Villon, La ballade des pendus, 1462

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Dans ce passage connu des Misérables, Jean Valjean est ramené par les gendarmes chez Monseigneur Myriel, qui l’a hébergé, et à qui il a volé ses couverts en argent. Non seulement, Monseigneur Myriel ne le condamne pas mais il affirme lui avoir donné ces couvets et lui offre en plus deux chandeliers. Comme Sem et Japhet avec Noé, il épargne à Jean Valjean une humiliation et en fait un autre homme.

 

La porte s'ouvrit. Un groupe étrange et violent apparut sur le seuil. Trois hommes en tenaient un quatrième au collet. Les trois hommes étaient des gendarmes ; l'autre était Jean Valjean.

Un brigadier de gendarmerie, qui semblait conduire le groupe, était près de la porte. Il entra et s'avança vers l'évêque en faisant le salut militaire.

– Monseigneur... dit-il.

A ce mot Jean Valjean, qui était morne et semblait abattu, releva la tête d'un air stupéfait.

– Monseigneur ! murmura-t-il. Ce n'est donc pas le curé ?...

– Silence ! dit un gendarme. C'est monseigneur l'évêque.

Cependant monseigneur Bienvenu s'était approché aussi vivement que son grand âge le lui permettait.

– Ah ! vous voilà ! s'écria-t-il en regardant Jean Valjean. Je suis aise de vous voir. Et bien mais ! je vous avais donné les chandeliers aussi, qui sont en argent comme le reste et dont vous pourrez bien avoir deux cents francs. Pourquoi ne les avez-vous pas emportés avec vos couverts ?

Jean Valjean ouvrit les yeux et regarda le vénérable évêque avec une expression qu'aucune langue humaine ne pourrait rendre.

– Monseigneur, dit le brigadier de gendarmerie, ce que cet homme disait était donc vrai ? Nous l'avons rencontré. Il allait comme quelqu'un qui s'en va. Nous l'avons arrêté pour voir. Il avait cette argenterie...

– Et il vous a dit, interrompit l'évêque en souriant, qu'elle lui avait été donnée par un vieux bonhomme de prêtre chez lequel il avait passé la nuit ? Je vois la chose. Et vous l'avez ramené ici ? C'est une méprise.

– Comme cela, reprit le brigadier, nous pouvons le laisser aller ?

– Sans doute, répondit l'évêque.

Les gendarmes lâchèrent Jean Valjean qui recula.

– Est-ce que c'est vrai qu'on me laisse ? dit-il d'une voix presque inarticulée et comme s'il parlait dans le sommeil.

– Oui, on te laisse, tu n'entends donc pas ? dit un gendarme.

– Mon ami, reprit l'évêque, avant de vous en aller, voici vos chandeliers. Prenez-les.

Il alla à la cheminée, prit les deux flambeaux d'argent et les apporta à Jean Valjean. Les deux femmes le regardaient faire sans un mot, sans un geste, sans un regard qui pût déranger l'évêque.

Jean Valjean tremblait de tous ses membres. Il prit les deux chandeliers machinalement et d'un air égaré.

– Maintenant, dit l'évêque, allez en paix.

 

Hugo, Les Misérables, Ière partie, livre II, chapitre XII, 1859

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