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Fruits, Amour et Eucharistie
 

Joseph Ratzinger « Jésus de Nazareth » : Chapitre 8 § 2

 

La purification vise à obtenir des fruits, nous dit le Seigneur. Mais quel est le fruit qu'il attend ? Regardons d'abord le fruit qu'il a porté lui-même dans sa mort et sa résurrection. Isaïe et toute la tradition prophétique avaient dit que Dieu attendait de sa vigne des raisins et donc un vin délicieux. C'est une image de la justice, de la droiture qui se forme grâce à la vie dans la parole de Dieu, dans la volonté de Dieu. La même tradition dit qu'à la place, Dieu ne trouve que des raisins aigres et inutilisables qu'il ne peut que jeter. C'est une image de la vie qui s'éloigne de Dieu pour s'enfoncer dans l'injustice, dans la corruption et dans la violence. La vigne doit porter des raisins nobles, qui donneront un vin précieux grâce à la vendange, au pressurage et à la fermentation.

 

N'oublions pas que la parabole de la vigne est intégrée dans le contexte de la dernière Cène de Jésus. Après la multiplication des pains, Jésus a parlé du vrai pain du ciel, qu'il donnera. Ainsi, il a fourni d'avance une interprétation profonde du pain eucharistique. Il est difficilement concevable que, dans le discours de la vigne, il ne fasse que très discrètement allusion au nouveau vin, celui auquel renvoie déjà Cana et que désormais il donnera : le vin issu de sa passion, de son « amour qui va jusqu'au bout » (Jn 13, 1). Dans cette perspective, le fond de la parabole de la vigne est clairement eucharistique. Elle renvoie au fruit que Jésus apporte : son amour qui se donne sur la Croix. Cet amour est le nouveau vin délicieux qui fait partie des noces de Dieu avec les hommes. Ainsi, l'Eucharistie devient intelligible dans toute sa profondeur et toute sa grandeur, sans être mentionnée explicitement. Elle nous renvoie au fruit que nous pouvons et que nous devons porter en tant que sarments avec le Christ et en vertu du Christ. Le fruit que le Seigneur attend de nous est l'Amour qui accepte avec lui le mystère de la Croix, l'Amour qui nous fait participer à son don de soi pour devenir la vraie justice, celle que Dieu attend de nous et qui prépare le monde en l'orientant vers le règne de Dieu.

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La purification et le fruit vont ensemble. C'est seulement parce que Dieu nous purifie que nous pouvons porter le fruit qui débouchera sur le mystère eucharistique pour conduire ainsi vers les noces qui sont le dessein de Dieu sur l'histoire. Le fruit et l'amour forment un tout. Le vrai fruit, c'est l'Amour qui est passé par la Croix, par les purifications pratiquées par Dieu. À tout cela s'ajoute le fait de « demeurer ». En Jean 15, 1-10, nous rencontrons dix fois le verbe grec menein (demeurer). Ce que les Pères nomment perseverantia, le fait de se tenir patiemment dans la communion avec le Seigneur au milieu des vicissitudes de l'existence, est ici clairement mis au centre. Au début, on est facilement enthousiaste, mais il faut ensuite marcher avec constance sur les chemins monotones du désert qu'on est appelé à parcourir dans la vie. Il faut avancer patiemment, laisser se briser l'élan romantique du départ pour ne laisser que l'adhésion profonde et pure à la foi. C'est justement ainsi que le vin se bonifie. Après les illuminations rayonnantes du début, après l'heure de la conversion, saint Augustin a profondément vécu le poids de cette patience. Et c'est précisément ainsi qu'il a appris l'amour du Seigneur et la joie profonde d'avoir trouvé celui qu'il avait cherché.

 

Si le fruit que nous devons porter est l'Amour, cela présuppose précisément de « demeurer », élément qui est profondément lié à la foi que nous laisse le Seigneur. Au verset 7, il est question de la prière comme d'un moment essentiel de ce « demeurer ». L'homme de prière est assuré d'obtenir ce qu'il demande. Cependant, prier au nom de Jésus, ce n'est pas demander n'importe quoi, mais demander le don essentiel que Jésus, dans le discours d'adieu, nommait « la joie » et que Luc nommait l'Esprit-Saint (cf. 11, 13), ce qui est fondamentalement la même chose. Les mots qui évoquent le fait de demeurer dans l'amour anticipent déjà le dernier verset de la prière sacerdotale de Jésus (cf. Jn 17, 26), tout en liant le discours de la vigne au grand thème de l'unité que le Seigneur pose comme une demande devant le Père.

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