Dans ce sonnet, dicté la veille de sa mort le 26 décembre 1585, Ronsard évoque sa disparition prochaine (Il a 61 ans). Sa sérénité est associée à une vie bien remplie et à l’espérance de retourner auprès de Dieu.
Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Vaisselles et vaisseaux que l’artisan burine,
Et chanter son obsèque en la façon du cygne,
Qui chante son trépas sur les bords méandrins.
C’est fait j’ai dévidé le cours de mes destins,
J’ai vécu, j’ai rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour être quelque signe
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.
Heureux qui ne fut donc, plus heureux qui retourne
En rien comme il était, plus heureux qui séjourne
D’homme fait nouvel ange auprès de Jésus-Christ,
Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue
Dont le sort, la fortune, et le destin se joue,
Franc des liens du corps pour n’être qu’un esprit.
Pierre de Ronsard, Derniers vers , 1586
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Au contraire, le Père Goriot, personnage principal du roman éponyme de Balzac, meurt dans le plus grand dénuement et rongé par les regrets. Ses filles, qu’il a outrageusement gâtées et auxquelles il a donné toute sa fortune, l’ont abandonné.
Si elles ne viennent pas ? répéta le vieillard en sanglotant. Mais je serai mort, mort dans un accès de rage, de rage ! La rage me gagne ! En ce moment, je vois ma vie entière. Je suis dupe! Elles ne m’aiment pas, elles ne m’ont jamais aimé ! Cela est clair.
Si elles ne sont pas venues, elles ne viendront pas. Plus elles auront tardé, moins elles se décideront à me faire cette joie. Je les connais.
Elles n’ont jamais su rien deviner de mes chagrins, de mes douleurs, de mes besoins, elles ne devineront pas plus ma mort ; elles ne sont seulement pas dans le secret de ma tendresse. Oui, je le vois, pour elles, l’habitude de m’ouvrir les entrailles a ôté du prix à tout ce que je faisais.
Elles auraient demandé à me crever les yeux, je leur aurais dit : « Crevez- les ! » Je suis trop bête. Elles croient que tous les pères sont comme le leur.
Il faut toujours se faire valoir. Leurs enfants me vengeront. Mais c’est dans leur intérêt de venir ici. Prévenez- les donc qu’elles compromettent leur agonie.
Elles commettent tous les crimes en un seul. Mais allez donc, dites- leur donc que, ne pas venir, c’est un parricide ! Elles en ont assez commis sans ajouter celui - là. Criez donc comme moi : « Hé, Nasie ! Hé, Delphine ! Venez à votre père qui a été si bon pour vous et qui souffre ! » Rien, personne.
Mourrai- je donc comme un chien ? Voilà ma récompense, l’abandon. Ce sont des infâmes, des scélérates ; je les abomine, je les maudis ; je me relèverai, la nuit, de mon cercueil pour les remaudire, car, enfin, mes amis, ai-je tort ? Elles se conduisent bien mal ! Hein ? Qu’est- ce que je dis ? Ne m’avez- vous pas averti que Delphine est là ? C’est la meilleure des deux.
Vous êtes mon fils, Eugène, vous ! Aimez- la, soyez un père pour elle.
L’autre est bien malheureuse. Et leurs fortunes ! Ah, mon Dieu ! J’expire, je souffre un peu trop ! Coupez- moi la tête, laissez- moi seulement le cœur.
Balzac, Le Père Goriot, 1835
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Dans sa pièce, Edmond Rostand retrace les aventures de Cyrano de Bergerac, l’homme au grand courage et au grand nez. Nous assistons ici à sa mort alors qu’il vient juste d’avouer à Roxane qu’il l’a aimée toute sa vie. Aimée en vain puisque celle-ci était amoureuse de Christian, bel homme et piètre poète. Quand Christian meurt sur le champ de bataille, Cyrano renonce à avouer à Roxane qu’il est celui qui a écrit toutes les lettres de ce dernier, celui qui l’a « vraiment » séduite. En mourant, il emporte avec lui son amour, son courage, sa fierté (il a toujours refusé que l’on se moque de son nez), son … panache.
CYRANO, est secoué d’un grand frisson et se lève brusquement
Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
(On veut s’élancer vers lui.)
— Ne me soutenez pas ! — Personne !
(Il va s’adosser à l’arbre.)
Rien que l’arbre !
(Silence.)
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
— Ganté de plomb !
(Il se raidit.)
Oh ! mais ! … puisqu’elle est en chemin,
Je l’attendrai debout,
(Il tire l’épée.)
Et l’épée à la main !
LE BRET
Cyrano !
ROXANE, défaillante
Cyrano !
(Tous reculent épouvantés.)
CYRANO
Je crois qu’elle regarde…
Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
(Il lève son épée.)
Que dites-vous ? … C’est inutile ? … Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
— Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ! — Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
(Il frappe de son épée le vide.)
Tiens, tiens ! — Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés ! …
(Il frappe.)
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! — Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
— Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
(Il fait des moulinets immenses et s’arrête haletant.)
Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
(Il s’élance l’épée haute.)
Et c’est…
(L’épée s’échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.)
ROXANE, se penchant sur lui et lui baisant le front
C’est ? …
CYRANO, rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant
Mon panache.