La promesse d’Isaïe
Marie-Noëlle Thabut, Commentaire de la fête de Pâques (Site de l’Église catholique de France)
Ce texte fait partie de ce qu'on appelle « L'Apocalypse d'Isaïe » (chap. 24-27). Quatre chapitres qui sont comme une vision de la fin du monde. Par avance, le prophète nous « dévoile » (c'est le sens du mot Apocalypse) les événements de la fin de l'histoire. D'ailleurs le chapitre 25, dont est tiré le passage d'aujourd'hui commence par une action de grâce : « SEIGNEUR, tu es mon Dieu, je t'exalte et je célèbre ton Nom, car tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables (25, 1). Là, le prophète parle au passé, comme si nous étions déjà parvenus à la fin de l'histoire et, comme s'il se retournait en arrière, il dit « Tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables ».
Ces projets, nous le savons bien, c'est une humanité enfin unie, enfin pacifiée : s'asseoir à la même table, partager le même repas, faire la fête ensemble, c'est bien une image de paix. « Ce jour-là, le SEIGNEUR, Dieu de l'univers, préparera pour tous les peuples sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés ».
Bien sûr, cette évocation est d'ordre poétique, symbolique : Isaïe ne cherche pas à décrire de façon réaliste ce qui se passera concrètement. Il veut nous dire « finies les guerres, les souffrances, les injustices », et il écrit « tous les peuples seront à la fête ». Et si ce chapitre a été écrit, comme on le croit, pendant ou après l'Exil à Babylone, on comprend que le rêve de fête se traduise par des images d'opulence.
On ne sait pas exactement quand ce texte a pu être écrit, mais il est clair que c'est dans une période difficile ! Si le prophète juge utile de proclamer « En ce jour-là, on dira « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, il nous a sauvés », il faut se dire qu'il cherche à remonter le moral de ses compatriotes ! Et il faut traduire : « Allez mes frères, dites-vous que dans quelque temps, vous ne regretterez pas d'avoir fait confiance... et je vais vous dire la fin de l'histoire : nous marchons lentement mais sûrement vers le jour de la paix définitive ; vous allez pouvoir redresser la tête » : « Le SEIGNEUR essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l'humiliation de son peuple ; c'est lui qui l'a promis ».
La voilà la phrase centrale du texte, pour le prophète, celle qui justifie son optimisme à toute épreuve : « c'est lui (le SEIGNEUR) qui l'a promis ». Le prophète est quelqu'un qui sait, qui a expérimenté l’œuvre incessante de Dieu pour libérer son peuple. On ne peut pas être prophète (ou simplement témoin de la foi) si on n'a pas, d'une manière ou d'une autre, fait l'expérience personnelle ou collective de l’œuvre de Dieu.
Or le peuple d'Israël prend bien soin de ressourcer perpétuellement sa foi dans la mémoire de l’œuvre de Dieu. Et c'est parce qu'il ne l'oublie jamais qu'il peut traverser les heures d'épreuve. Comme Dieu a libéré son peuple des chaînes de l’Égypte, il continue au long des siècles à le libérer ; or les pires chaînes de l'homme, c'est l'incapacité à vivre en paix, à pratiquer la justice, à demeurer dans l'Alliance de Dieu. Si Dieu pousse son œuvre jusqu'au bout (et Isaïe ne doute pas qu'il le fera), viendra le jour où tous les peuples vivront en paix et dans la fidélité à l'Alliance. Car « c'est lui (le SEIGNEUR) qui l'a promis »...
Reste une phrase difficile : « Il détruira la mort pour toujours » ; difficile... précisément parce qu'elle semble trop claire ! « Il détruira la mort pour toujours » : quand nous lisons cette phrase aujourd'hui, nous sommes tentés de la lire à la lumière de notre foi chrétienne du vingt-et-unième siècle et donc de prêter à l'écrivain du sixième siècle avant J.C. des pensées qui n'étaient pas les siennes. Dieu seul sait, évidemment, ce qu'Isaïe avait dans la tête, mais très certainement ce n'est pas encore ici une affirmation de la Résurrection au sens chrétien du terme ; le peuple d'Israël a peu à peu découvert, dès avant le Christ, la foi en la résurrection de la chair, mais très tardivement, bien après que le livre d'Isaïe ait été définitivement mis par écrit.
De quelle mort parle Isaïe ? Parle-t-il de mort physique ou de mort spirituelle ? Pour l'homme de la Bible, la mort biologique individuelle fait partie de l'horizon ; elle est prévue, inéluctable, mais pas triste quand elle intervient normalement au soir d'une longue vie comblée. On n'entrevoit pas, on n'imagine pas un autre espace pour l'homme que l'espace terrestre. Pour l'individu, la seule mort que l'on craint c'est la disparition prématurée d'êtres jeunes ou la mort brutale, à la guerre par exemple. Isaïe évoque peut-être cela ici.
Peut-être pense-t-il également à la mort spirituelle, car, parfois dans la Bible, on parle de mort et de vie dans un sens qui n'est pas biologique : pour le croyant de cette époque-là, vivre pleinement, c'est vivre sur la terre en Alliance avec Dieu (aujourd'hui on dirait en communion avec Dieu). Et ce qui est appelé mort, c'est la rupture d'Alliance avec Dieu. Et donc, ce qu'Isaïe entrevoit, c'est le Jour où on vivra en paix avec Dieu et avec soi-même ; les forces de mort seront détruites, la haine, l'injustice, la guerre.
Enfin, en réalité, Isaïe, ici, ne parle pas d'abord des individus, il parle du peuple dont la déchéance présente ressemble à une mort programmée. Grâce à sa foi dans les promesses de Dieu, Isaïe sait que ce peuple renaîtra.
Puisqu'il n'entrevoit pas encore d'horizon autre que terrestre, on ne s'étonne pas qu'Isaïe situe l'avenir à Jérusalem, (c'est le sens de l'expression « sur sa montagne ») puisque c'est le lieu de la Présence de Dieu au milieu de son peuple. Mais les promesses du salut ne sont pas réservées au seul peuple d'Israël : le festin préparé sur la montagne est pour tous les peuples : « Ce jour-là, le SEIGNEUR, Dieu de l'univers, préparera pour tous les peuples sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples... Il détruira la mort pour toujours ».
Depuis la Résurrection du Christ, il ne nous est pas interdit de penser : « Isaïe ne croyait pas si bien dire ! »