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Loi du Sinai

Méditation

Dans ce poème, dont nous avons ici la deuxième partie et qui s’intitule « Ultima verba » (les dernières paroles, Hugo s’adresse à Napoléon III pour refuser sa proposition d’amnistie. En effet, Hugo est exilé depuis le coup d’état de 1851. Pour défendre la justice, il accepte de demeurer loin de chez lui : il restera en Angleterre jusqu’à la chute de Napoléon III en 1870.


Mes nobles compagnons, je garde votre culte
Bannis, la république est là qui nous unit.
J'attacherai la gloire à tout ce qu'on insulte
Je jetterai l'opprobre à tout ce qu'on bénit !

 

Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te montrerai, césar, ton cabanon.

 

Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d'airain !

 

Oui, tant qu'il sera là, qu'on cède ou qu'on persiste,
Ô France ! France aimée et qu'on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !

 

Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j'oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente.
Je resterai proscrit, voulant rester debout.

 

J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.

 

Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S'il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !

Victor Hugo, Les Châtiments - Livre septième, 1853

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Erri de Luca, Et il dit

Ils apprirent au pied du Sinaï que l’écoute est une citerne dans laquelle se déverse une eau de ciel de paroles scandées à gouttes de syllabes. L’écoute est un puits qui les garde entières, o peut en prendre là chaque fois sans qu’il en manque une. Et à force d’extraction, la provision ne diminue pas, elle reste égale.

L’élan de réponse : « Nous ferons et nous écouterons » engageait les générations suivantes. Le « nous » ne concernait pas seulement les présents, mais les troupes futures. « Et il les fit être des témoins pour le monde. » (Psaume 148,6), celui à venir, c’est ce qui est écrit dans le chant d’un des descendants, qui ne voulut pas ajouter le détail insignifiant de son nom. Quand l’écriture se débarrasse de son auteur, elle appartient à celui qui la lit et fait de chaque lecteur suivant son héritier direct.

 

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Paul Auster, Chronique d’hiver

Pour faire ce que tu fais, il te faut marcher. Marcher, c'est ce qui attire les mots à toi, ce qui te permet d'entendre les rythmes des mots à mesure que tu les écris dans ta tête. Un pied en avant, puis l'autre, le double battement de tambour de ton cœur. Deux yeux, deux oreilles, deux bras, deux jambes, deux pieds. Ceci, puis cela. Cela, puis ceci. Ecrire commence dans le corps, c'est la musique du corps, et même si les mots ont un sens, s'ils peuvent parfois en avoir un, c'est dans la musique des mots que commence ce sens. Tu t'assieds à ton bureau pour noter les mots, mais dans ta tête tu es encore en train de marcher, toujours en train de marcher, et ce que tu entends, c'est le rythme de ton cœur, le battement de ton cœur. Mandelstam : « Je me demande combien de paires de sandales Dante a usées en travaillant sur la "Commedia".» L'écriture comme forme intérieure de danse.

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